Hugo Villaspasa, dessin 2008

lundi 13 octobre 2014

L'Obscurité resplendissante



Mark Rothko. Rêver de ne pas être, de Stéphane Lambert, éd. Arléa, 2014.

Cet ouvrage est la nouvelle édition, revue par l’auteur, d’un texte publié en 2011. Il est construit en deux parties. La première, intitulée « Allo Houston ? Ici, Daugavpils »,  est de nature biographique et retrace le parcours singulier - « la navigation d’une vie » - du peintre Mark Rothko, né Markus Rothkowitz le 25 septembre 1903 à Dvinsk dans l’Empire Russe (aujourd’hui Daugavpils en Lettonie) et mort suicidé à Houston le 25 février 1970.


La deuxième partie, titrée « De l’effacement du lieu au lieu de l’effacement », s’attache quant à elle à décrire et commenter le travail, du moins quelques œuvres majeures mais tardives du peintre, plus particulièrement les Dark Paintings (de Four Darks in Red (1958) jusqu’au Black on Grey (1969) en passant par les Seagrams (1958)). L’auteur s’efforce d’y verbaliser ses propres émotions devant ces œuvres contemplées tour à tour à Londres lors de l’exposition dd l’hiver 2008-2009 à la Tate Gallery et à Houston à la Chapelle Rothko.
Pas de place ici pour une présentation et une analyse froide et rationnelle du travail de l’artiste naturalisé américain. L’auteur procède plutôt selon une approche sensible, toute subjective et personnelle, en nous livrant ses impressions de voyage entre la Lettonie (terre natale) et les U.S.A., le Texas en particulier (terre d’accueil). De manière littéraire et poétique, il tente de tisser une relation étroite et empathique avec l’artiste et son œuvre, « pays imaginaire logé dans la ligne de faille » (p.17) de ces deux continents. . Usant du vouvoiement, il esquisse un rapprochement sinon un dialogue qui entend rendre plus proche et palpable l’aventure existentielle et picturale du peintre.
L’ouvrage ne s’arrête pas à la totalité des œuvres. On peut le regretter car se trouve ainsi laissé de côté le pan heureux, lumineux et coloré de son travail. Toutefois, tout en retraçant le parcours et l’avancée obsessionnelle du peintre dans la partie biographique, le choix de focaliser le propos sur les seules Dark Paintings, œuvres des années sombres, relève d’un parti pris légitime. Ces œuvres sont l’aboutissement d’une quête, celle d’un intellectuel sensitif cheminant vers un regard total. Elles révèlent une vérité souterraine essentielle : la primitivité du réel. L’être ne saurait ignorer le néant, la vie ne peut s’achever dans une plénitude et un bonheur qui ne porterait pas en creux la possibilité de l’effacement. La tragédie existentielle est insurmontable : « au fond, qu’importe la couleur ! Ce qui compte c’est là où elle mène » (p.62). Les Dark Paintings signifient ainsi le sens de la vie selon Rothko : rêver de ne pas être. Elles nous ramènent au fond obscur, indifférencié, infiguré, sans scission et ineffable de l’être, à cette pure vacuité qui est aussi dissolution de la conscience, désintégration du Moi, déluge et silence. Dans cette ombre où tout s’efface, palpite plus que jamais l’émotion ; dans l’effacement, une certaine façon de resplendir.
Peinture religieuse, mêlant Présence et Absence, l’œuvre invite au recueillement à l’écart du bruyant réel. Par le dépouillement, elle mène à l’essentiel. Invitée à s’immerger, à se perdre sans distance dans la toile, la solitude du regardeur rejoint celle du créateur. D'où la proximité ici soulignée avec Monet et ses Nymphéas.

« L’art ne parle pas d’un autre monde, il parle en creux de celui on l’on vit » p.28.



« Non-être et Etre sortant d’un fond unique ne se différencient que par leurs noms. Ce fond unique s’appelle Obscurité. » Lao-Tseu, Tao-tö king




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