« Une architecture ne peut que s’appauvrir et tomber dans l’impasse de la banalité, si elle n’obéit qu’à des besoins fonctionnels. (…) une architecture qui ne tire pas d’elle-même ses thèmes est comme un tableau qui se borne à reproduire photographiquement la réalité. Le thème et le contenu de l’architecture ne sont rien d’autre que l’architecture elle-même. Ainsi de même que la peinture se sert d’un langage et d’une poésie qui lui sont propres pour exprimer ses représentations, ou de même que la musique se représente dans des compositions faites de sons, de même l’architecture, a non seulement la possibilité, mais encore la nécessité artistique de manifester et de vivre des idées au moyen de compositions spatiales conçues avec le langage de l’architecture. »
Oswald Mathias UNGERS (1982)
Oswald Mathias Ungers se positionne ici clairement quant au degré d’autonomie de l’architecture. Il exprime deux idées principales. La première est une critique du Mouvement Moderne en général et du fonctionnalisme en particulier. Selon lui, le fonctionnalisme mène à une pauvreté architecturale. La seconde idée est que l’architecture doit être autoréférencée, c’est-à-dire qu’elle ne doit se référencer qu’à elle même à l’instar des autres arts comme la musique par exemple qui est composée de sons. Un bâtiment doit être lisible par le langage architectural qu’il exprime.
En architecture, le fonctionnalisme est un concept qui utilise les besoins fonctionnels comme éléments directeurs de la conception du projet. Le célèbre « Form follows fonction » de Louis Sullivan est assez expressif pour comprendre que ce courant ne laisse pas de place à la forme. C’est d’ailleurs ce que Ungers critique : « Une architecture ne peut que s’appauvrir et tomber dans l’impasse de la banalité, si elle n’obéit qu’à des besoins fonctionnels. »
Comme exemple, nous pouvons citer un projet d’Herman Hertzberger (Centraal Beheer, Apeldoorn, Pays-Bas,1974), qui a été conçu uniquement à partir du plan. « Seul l’intérieur peut expliquer l’extérieur, et aucune référence n’est faite au problème du bâtiment comme représentation ou à l’approche du bâtiment de l’extérieur. » (Règles, réalismes et histoire, Alan Colquhoun, p77). Le projet s’est donc construit en fonction du comportement des habitants à l’intérieur. Bien que ce type de projet est sûrement (très) confortable pour les usagers, il ne présente aucun traitement architectural de l’extérieur et ne se soucie pas de son contexte. Il est conçu comme une unité indépendante de tout autre système. Pourtant, nous connaissons l’impact que l’architecture a sur notre environnement. Ce n’est donc pas un critère à négliger ou ignorer comme c’est le cas ici. Selon Renzo Piano, « un architecte ne doit jamais imposer sa propre marque au paysage (…) » (La désobéissance de l’architecte). Il semble que ce soit l’erreur commise par Hertzberger puisque nous ne pouvons pas percevoir un effort de traitement extérieur.
C’est précisément de cela dont il s’agit lorsque Ungers parle « d’appauvrissement » de l’architecture. Le fonctionnalisme néglige certains aspects importants de l’architecture et donc ne peut que « tomber dans l’impasse de la banalité ».
Par ailleurs, l’architecture fonctionnaliste et l’architecture du Mouvement Moderne rejettent l’ornement. Adolf Loos en est la preuve en parlant de « peste ornementale » dans Ornement et crime. L’ornement fait référence à des choses non fonctionnelles. Il ne faut donc pas l’utiliser en architecture. Nous revenons au même problème de la forme. Comme le traitement de la façade n’a rien de fonctionnel pour Hertzberger, l’ornement est purement formel et/ou décoratif pour Adolf Loos. Ungers dénonce cette prise de position puisque justement, c’est la forme qui peut mettre en place un langage propre à l’architecture qui devient alors auto référencée.
L’idée de l’autonomie de l’architecture traduit l’idée que l’architecture doit avoir ses propres références et se suffire à elle même. C’est la position défendue par Ungers mais aussi par la Tendenza dont la figure principale est Aldo Rossi. Pour eux, l’architecture a son propre langage et il évolue au cours du temps. L’analogie avec la musique est faite par Ungers. Alan Colquhoun, dans Règles, réalismes et histoire développe cette idée en expliquant que « le changement du langage musical qui apparut au 18ème siècle, lorsque le contrepoint fut remplacé par la méthode homophone, ne s’explique que par un changement dans la fonction sociale de la musique. » De même, le langage architectural change en fonction de facteurs extérieurs auxquels il est rattaché. Par exemple, l’arrivée de l’ordinateur et l’apparition de l’homo cyberneticus (Bernard Cache, Objectile : poursuite de la philosophie par d’autres moyens ?) a provoqué un changement radical du langage architectural. Il existe donc bien un système architectural et l’architecte doit s’en servir pour concevoir ses projets.
L’une des œuvres de Mies van der Rohe,le pavillon de Barcelone, exprime bien cette idée du langage architectural. Robin Evans nous en fait l’analyse dans Les symétries paradoxales de Mies van der Rohe. Construit pour l’exposition universelle d’Allemagne en 1929, ce pavillon n’aura servi en tout et pour tout que trois jours lors de la cérémonie d’ouverture. Les critiques et les débats qu’il suscite ne sont arrivés que quelques années après sa construction. Cela montre qu’il intrigue et attire l’attention même à une époque plus avancée de sa conception. Cela s’explique par sa qualité architecturale. En effet, le pavillon est doté d’effets remarquables et nombreux qui troublent encore aujourd’hui la perception des visiteurs. On peut dire que Mies a su trouver comment réaliser un bâtiment qui se suffit à lui-même sans avoir de fonction bien déterminée à la base. « L’architecture est sans but » disait Hans Hollein en 1963.
Si on considère qu’un bâtiment n’est pas conçu pour une fonction particulière, c’est que cela devient un pur exercice formel. De nos jours, avec le développement de l’architecture computationnelle, nous voyons de plus en plus d’objets architecturaux formels. Nous tombons dans l’inverse du fonctionnalisme pur. La fonction est totalement ignorée. Rem Koolhaas, dénonce et critique le culte de la forme pure. « Les formes recherchent des fonctions comme les bernard-l’ermite cherchent des coquilles vides… » (Junkspace, p89). Il faudrait donc trouver le juste équilibre, l’harmonie parfaite entre fonctionnalisme et formalisme qui laisserait planer une certaine ambigüité. Peter Eisenman parle de fonctionnalisme démodé et de formalisme obsessionnel.
Dans Règles, réalismes et histoire, Alan Colquhoun propose un « processus dialectique dans lequel les normes esthétiques sont modifiées par les forces extérieures pour réaliser une synthèse partielle » (p82). Le langage architectural, amené à changer au cours du temps, devrait par conséquent être lié d’une façon ou d’une autre à la fonction et à la forme.
Chantier François
ENSAPM
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