Dictionnaire
amoureux de la laïcité, éd.Plon, Paris, 2015.
Henri Pena-Ruiz est l'un
des spécialistes de la question de la laïcité. Parallèlement aux
travaux de Catherine Kintzler, Jean Baubérot et plus récemment
Abdenour Bidar, ses nombreux ouvrages explorent ce thème depuis son
Dieu et Marianne publié en 1999. Nouvelle édition revue et
augmentée, le Dictionnaire amoureux de la laïcité constitue
à sa façon une somme et un outil extrêmement lumineux et utile
pour tous ceux qui se soucient de ce principe fondateur de notre
République. Dans le contexte actuel de l'après-Charlie, des tentatives de
récupération voire de falsification du concept de laïcité depuis les années 2000 et des controverses récurrentes de l'actualité autour par exemple des menus proposés dans les cantines scolaires, il est
nécessaire d'en revenir aux fondamentaux, c'est-à-dire à l'esprit
qui a guidé l'élaboration de la loi de 1905 dans le prolongement
des acquis de la révolution française et de l'école républicaine
de Jules Ferry.
Précédé d'une Préface
en forme de déclaration d'amour à Marianne, ce dictionnaire
comprend 242 entrées. En voici quelques exemples. Certaines sont
conceptuelles (à commencer par la notion de Laïcité elle-même et
ses harmoniques principales Ecole laïque, Egaliberté, Emancipation, Liberté de conscience, Neutralité,
République, Universel...) ; d'autres renvoient à
des philosophes (Averroès, Bayle, Camus, Condorcet...), des scientifiques (G.Bruno, Copernic, Galilée, Michel
Servet...), des écrivains (Aragon, Dante, Dostoïeski, V.
Hugo), des politiques (F. Buisson, Gandhi,
Jaurès, J.Macé, Jean Zay...), des hommes de religion (Bossuet, Jean Hus,
Lammenais, Paul...), des avocats (Chokri Belaïd) ou même des
personnages mythologiques (Antigone). Quand certains de ces hommes ou
femmes sont impliqués à titre de théoriciens voire de promoteurs
actifs de la laïcité, d'autres sont les victimes des pouvoirs
politiques ou religieux : ils rejoignent alors les Jean Callas,
Chevalier de La Barre, Etienne Dolet ...
Des entrées sont
consacrées à des faits historiques mémorables (Affaire Dreyfus,
Inquisition, Commune de
Paris, Controverse de Valladolid, Edit de Nantes, Les
Lumières...) et des lois qui ont marqué
l'histoire : Loi de 1905 bien sûr mais aussi Loi Debré, Loi Goblet,
Loi de séparation de l'école et de l'Eglise.
Les entrées en matière
religieuse complètent bien sûr l'ensemble : Ancien testament,
Nouveau testament, Coran, Islam, Charia, Djihad,
Théisme, Agnosticisme, Athéisme, Superstition, Théocratie...
Certaines se focalisent
sur les violences qui menacent les hommes pour des raisons politiques
et religieuses ou les tentatives de justification idéologique de ces
pratiques condamnées par la pensée laïque : Antijudaïsme,
Antisémitisme, Athéophobie, Islamophobie, Judéophobie,
Judaïsmophobie, Ethnocentrisme, Massacres religieux, Obscurantisme, Pureté
du sang...
Les questions strictement
contemporaines qui ont provoqué récemment ou suscitent encore de
vives controverses sont également abordées à travers des articles
comme Argent public/école publique, Avortement, Blasphème, Contraception, Communautarisme, Crèche, Euthanasie,
Excision, Fondamentalisme, Genre, Intégrisme, Intelligent Design,
Multiculturalisme, Sectes, Transfusion sanguine, Voile...
Enfin, la laïcité
n'étant pas une exclusivité française, quelques articles examinent
la manière dont certains pays la conçoivent et la mettent en oeuvre
: Allemagne, Canada (et Québec), Espagne, Etats-Unis,
Inde, Israël (Palestine), Palestine (Israël).
Europe : religion et politique...
Deux livres ont leur
entrée : La Cité de Dieu de Saint Augustin et Notre-Dame
de Paris de Victor Hugo.
L'ouvrage est accompagné
de suggestions bibliographiques distinguant les classiques des
contemporains et d'un index par noms propres.
On résumera ici l'article Laïcité :
Les adversaires de la
laïcité la disent intraduisible ou indéfinissable ou bien encore
contradictoire en ses multiples définitions. On l'adjective (on
parlera de laïcité ouverte, inclusive, plurielle, dure, molle,
douce, tolérante, intolérante, etc...), on la falsifie et on la
dénature. Pourtant, au-delà des préjugés et des amalgames, la
notion est claire. Le substantif, postérieur à l'adjectif, date de
1877. Introduit par Ferdinand Buisson dans son Dictionnaire de
pédagogie et d'instruction primaire le terme désigne «
l'aboutissement idéal d'un processus de laïcisation qui affranchit
l'Etat de l'Eglise et l'Eglise de l'Etat, après avoir affranchi
l'école de l'Eglise ». La laïcité est un principe de droit
politique qui suppose un idéal universaliste d'organisation de la
cité et le dispositif juridique de la séparation de l'Etat et des
Eglises qui garantit l'aconfessionnalité des institutions publiques.
Elle proscrit aussi bien les régimes concordataires que l'athéisme
d'Etat. Elle constitue « un idéal d'émancipation »
pour toutes et tous car elle est « fondamentalement
l'égaliberté » que l'école publique en faisant le pari de
l'intelligence doit promouvoir. Elle est la condition de possibilité
d'un champ d'exercice de la citoyenneté, c'est-à-dire d'un « espace civique commun à tous, par delà les différences »,
condition également « d'une coexistence des divers croyants
et des athées sur la base de la stricte égalité des droits. »
Bien sûr, la laïcité ne permet pas de régler tous les problèmes
notamment ceux qui touchent aux inégalités socio-économiques. Tant
que l'injustice sociale régnera, l'idée de laïcité et l'unité
harmonieuse du peuple indivisible (le laos) qu'elle promet,
les exigences de liberté de conscience, d'égalité des droits et de
primat de l'intérêt général qui font sa force pourront certes
paraître purement fictionnelles et suspectes. La laïcité n'a
pourtant pas à être accusée de cette injustice sociale : des
efforts d'un autre type mais complémentaires sont ici requis pour
lutter contre la déshérence consécutive à la mondialisation
ultralibérale qui détruit les droits sociaux et redonne aux
religions l'occasion de revendiquer une utilité sociale et un statut
de droit public.
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