L'entrée en vigueur de
l'Enseignement moral et civique dès la rentrée 2015 nous amène,
dans le prolongement d'une réflexion sur la laïcité, à repenser
le concept de morale. Dès lors qu'il s'agit de proposer une morale
commune de portée universelle, on adoptera plus volontiers
l'expression d'enseignement laïque de la morale plutôt, au risque
de le particulariser, que le vocable de morale laïque. Dans son Dictionnaire, Pena Ruiz
dresse d'abord un état des lieux de la situation sociale de la
question morale. De fait, nous vivons dans une société
immorale. L'égoïsme, érigé en art de vivre, suscite l'incivisme.
La mondialisation capitaliste néolibérale a dissous méthodiquement
le sens du lien social et assure la revanche de Dieu. En occupant la
place laissée vacante par l'Etat, la religion redevient comme le pensait Marx « le supplément d'âme d'un monde sans âme » en dispensant
sa morale propre et ses traditions sur le mode caritatif. Exit
l'idéal éthique et civique du cosmopolitisme, le patriotisme de
l'humanité cher à Hugo. Dans un tel contexte, la morale peut-elle
n'être autre chose qu'une incantation dérisoire ? Quelle
peut être la crédibilité d'un enseignement moral ? Que
penseront les élèves de la disjonction des beaux principes kantiens
ou rousseauistes et des pratiques sociales ? Renoncer à
l'éducation morale et civique signifierait pourtant accepter la
réalité telle qu'elle est sans vouloir un monde meilleur. Sans
ignorer la difficulté de la tâche, il faut dès lors l'assumer et
l'école est le lieu propice qui devra mettre à distance la réalité
sociale en développant une culture universelle et critique,
l'autonomie de jugement et le pouvoir de décider. Eviter la
reproduction des tares de notre monde mais aussi le moralisme
irréaliste et la critique idéologique, tel est le lourd programme
qui se présente. En proposant une « instruction qui éclaire
la pensée pour mieux conduire l'action », la République
laïque doit oser affirmer ses principes et en faire des valeurs et
des repères pour tous les citoyens, qu'ils soient athées, croyants
ou agnostiques. Deux exigences s'imposent : le souci de
l'universalité et la promotion de l'autonomie de jugement. La
première pour comme disait Condorcet « rendre la raison
populaire » et cela sans prosélytisme. La seconde pour
éviter absolument la catéchèse et adopter une approche réflexive
et critique. L'instituteur n'est pas un prêtre. Sans édification,
sans moralisme non critique, l'enseignement laïque de la morale doit
aussi se garder de tout conformisme. Il ne s'agit pas de confondre
l'universel avec le consensus d'opinion qui perpétuerait simplement
l'idéologie dominante. Si l'objectif est l'émancipation, « l'exigence morale authentique doit être solidaire de la lucidité
critique.» La société du moment qui « produit la
richesse en créant la misère » (V. Hugo) ne doit pas
échapper à ce regard lucide.
dimanche 27 septembre 2015
Morale
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